Après l’excellent NSMLM, sorti début 2017 et qui signait son retour en force, et son concert en avril dernier pour la 3ème édition de l’Artich’au mic’ – où il avait brûlé l’Alimentation générale – Infinit’ a continué à bosser et nous a livré un nouvel EP le 26 octobre dernier. Intitulé Ma version des faits, cet opus pose un nouveau jalon et nous prouve à nouveau que le rappeur niçois est un des meilleurs actuellement. Sortez les lunettes de soleil, on vous emmène sur la Riviera.
Un flow à l’aisance insolente
Dès les premières secondes de Ma version des fait, titre qui inaugure l’album éponyme on se rend compte que le MC préféré de Christian Estrosi reste sur la lignée de NSMLM, dans cette espèce d’hybridité entre passé et modernité. Le flow évoque l’aisance des anciens, mais les prods sont actuelles, et c’est là où réside une des principales force d’Infinit’, cette capacité à conjuguer les deux. D’ailleurs, malgré la différence des instrus, de la chaleur teintée de notalgie de « Le soleil et l’eau salé » à l’âpreté actuelle de « Tout le faire gang », le rappeur arrive à donner une homogénéité à l’EP par l’adaptabilité de son flow, qui apparaît comme une force naturelle et tranquille. Infinit’ ne cherche pas forcément à varier, mais sa qualité d’articulation couplée à une voix énergique et des placements sans failles nous font hocher la tête tranquillement.
Une écriture sans complexe
Chez le rappeur du 06, l’écriture ressemble au flow et on pourrait même être tenté de dire qu’elle en découle. Pas de prise de tête particulière, mais un enchaînement de punchlines ou même tout simplement de rimes qui s’intègrent bien pour former un ensemble cohérent. À sa manière, Karim nous rappe un Sud qui oscille entre le quotidien que nous vivons tous et toutes et les sphères plus hautes de la criminalité, entre l’agréable vie sous le soleil azuréen et les petites galères. Sans chercher à glorifier le crime de manière hollywoodienne, ni à accentuer la difficulté de la vie, Infinit’ nous raconte la débrouille, entre légal et illégal, la finalité étant l’argent mais les moyens d’y parvenir restent à la discrétion de chacun :
Ça, c’est pour mes zins en terrasse, café, clope et jambes croisées, jeux de grattage
Un peu de liberté, un peu de garde à v’,
Tout le faire gang
Dans cet EP, malgré l’ambiance générale que l’on saisit aisément, les références à l’illégal sont plus elliptiques, répondant à l’adage répété deux fois : « Plutôt mourir que poukave c’est le code, j’répète, plutôt mourir que poukave : c’est le code » (Tout le faire gang). Ainsi, plutôt que de développer, le rappeur préfère nous rapper « la synthèse du périple » (Saint Exupéry). Les références aux voitures de luxe sont légion, à la dolce vita sudiste aussi, mais on reste en surface d’un monde, réel ou fantasmé. Finalement, pour le rappeur pas besoin de développer, les images resteront gravées chez l’auditeur.
Une tentative de storytelling, avec la tragique histoire de Djibril nous montre qu’Infinit’ a plus d’un tour dans son sac et même si l’on reste un peu sur notre faim, on aimerait le voir persévérer dans cette direction pour les sons futurs, tant le potentiel apparaît grand.
Une ribambelle de feat vient compléter cette tracklist solide. On retrouve d’abord la famille avec les comparses d’En bas fondation, sur La Recette (Veust et sa voix d’outre-tombe, qui comme d’habitude plie le micro et Barry pour une prestation plus qu’honorable face aux deux performeurs). Infinit’ croise ensuite le fer avec Alpha Wann, qui marche sur l’eau depuis UMLA, pour un Vivre Bien, un titre de haute volée. Enfin le duo belge Caballero X Jeanjass collabore, un peu paresseusement, sur Clark Kent dont le thème, la fumette, était attendu.
Un EP taillé pour la scène ?
Cet EP c’est aussi l’occasion de nous rappeler que le rappeur garde aussi cette science incomparable (et précieuse) des refrains, construits sur un schéma similaire d’un titre à l’autre, 4 ou 8 mesures rappées. Mais dans Ma version des faits, ce qui fait la puissance de ces refrains c’est la capacité à trouver des gimmicks imparables à chaque mesure, que ce soit des mots improbables et désuets – énorme respect pour avoir placé “Moult” quatre fois dans le refrain de Tout le faire gang – ou des comparaisons elles aussi désuètes, comme sur Saint Exupéry. Ces refrains rythme les morceaux de manière extrêmement efficace et donnent envie de turn up, même dans un métro blindé en heure de pointe, alors on peut se dire qu’en concert le boug’ va faire sauter les foules. D’ailleurs je vous conseille de prendre vos places pour sa prochaine date, le 6 décembre où il risque fort de faire chauffer la Bellevilloise à blanc.