Fayçal est un rappeur de Bordeaux, actif depuis 2001. Après trois albums, il sort Bords perdus en 2016, un EP de quatre titres. Vendredi, il revient avec Chants de ruines, un projet court qui m’a accompagné tout le week-end pour prendre l’air.
Un projet vert…
Avec un tel nom d’album (et de titres), cette cover esquissée à la manière d’un dessin animé, le décor est planté : les éléments et la nature. Et ça ne manque pas : dès le premier morceau intitulé « Bête curieuse », la prod est très aérienne mais directement ramenée sur terre par un texte assez dur, authentique. Fayçal parle de lui à travers la métaphore du loup, avec tout le champ lexical approprié. Le clip -en ligne depuis deux ans presque jour pour jour- joue avec ces codes : le rappeur est seul, dans les bois, l’image est grise. Cette cohérence, nous allons la retrouver un peu plus loin avec « Eclairs de lune » : un texte incroyablement bien écrit, qui devient automatiquement mon coup de cœur du projet, porté par une prod beaucoup plus dynamique que celle des autres titres, en adéquation totale avec le flow de Fayçal. Je trouve que ça ramène énormément de rondeur au morceau, un autre angle d’écoute. Sur « Seize à mes sources » nous retrouvons toujours ce genre d’ambiance, très végétale : beaucoup de discernement et de clarté.
… foncé.
Fayçal décrit son quotidien, il le dépeint à la manière d’un dessinateur : il l’embellit certes car sa manière de nous le livrer est joliment faite dans le choix de ses mots, avec lesquels il n’arrête de pas jouer. Mais il n’est pas magicien et donc, même embelli, ce quotidien reste dur. Le titre « Balade en sourde oreille » illustre parfaitement cette contrebalance. Sous la couche de vernis menée par la prod, les mots subliment son propos d’un réalisme pertinent, d’une dureté de vie, d’un quotidien banal mais loin d’être tendre. Juste après ce titre, « Trente trois mille et des poussières » me donne raison : quatre minutes que se partagent Jeune Bran, KRM, A2z, Din’Dinor, Ojos, Nars, Rahim et Phat-R, tous originaires de la Belle Endormie, cette merveille qu’est Bordeaux (j’avoue, si je dois déménager, je vais là-bas direct : je suis tombée amoureuse de cette ville !). Un texte très street, ça kicke dans tous les sens comme un passe-passe, c’est très rap quoi ! Et ça fait comme une respiration dans ce projet et là aussi, c’est intéressant : une pause très urbaine dans un projet très végétal… Normalement, nous recherchons la verdure pour nous ressourcer et non l’inverse. Et puis, le foncé nous vient magistralement avec « Ombres blanches » le dernier morceau et second coup de cœur pour ma part. Une prod qui me parle réellement de par sa gravité (et qui me fait le même écho mélancolique que celle de « Lettres de noblesse » sur l’album L’or du commun sorti en 2013), un texte sur la même tendance. Le flow du rappeur découle avec facilité, comme sur tout le projet, mais sur cette outro comme pour le conclure, je l’entends avec beaucoup plus de relief.
Un projet harmonieux du début à la fin. Et étonnant car il se tient malgré tous les paradoxes et les contradictions qui en émanent. Ils sont présents du titre de l’opus (Chants de ruines), à l’oxymore de l’outro (« Ombres blanches ») en passant par de nombreuses punchlines au gré des morceaux. Et j’aime beaucoup cet état d’esprit, cette sublime absurdité, cette fatalité devenue jolie par un indéniable sens poétique.