Norsacce Berlusconi : Le marathon ne s’arrête jamais.

Après Néonegro et RAR, le rappeur membre du collectif 667 nous dévoile son nouveau projet Marathon, publié le 25 Février 2021. Des vêtements résistants aux températures les plus basses sont recommandés pour cette plongée dans un univers sombre fait d’agressivité et de spiritualité.

Le 11 Mai 2020, Norsacce Berlusconi annonce sous un post Instagram la sortie de son prochain projet. Son titre, Marathon, est un hommage au rappeur de Crenshaw, Nipsey Hussle, assassiné dans les rues de Los Angeles un an auparavant. Cet entrepreneur et activiste qui contribue à l’emploi de sa communauté grâce à ses commerces était pour beaucoup considéré comme un modèle. Sa campagne Proud 2 Pay et son label All Money In No Money Out créé en 2010 porteurs d’un mouvement d’indépendance vis à vis des majors le distinguent encore. Affirmant qu’il ne changera jamais ses principes contre une quelconque réussite, Norsacce fait perdurer la mémoire de Nipsey qui, lui aussi, imposait son état d’esprit à l’industrie. Aboutissement de 12 années de rap (les plus curieux pourront retrouver dans les méandres d’internet une mixtape datant de 2009, publiée sous le nom “Norsa”), Marathon est le troisième projet solo du membre du 667 depuis 2017. 

“Drill, j’aime trop cette merde qui fait trembler les vitres.” Headshot

Sans surprise, le nouveau projet de Norsacce Berlusconi nous plonge dans un univers délimité avec précision par ses flows tranchants. Évoquant avec autant d’aise les complots internationaux que sa propre spiritualité, le rappeur évolue dans un environnement sombre, froid, marqué par des pianos glaciaux et des 808 aiguisées. Si l’influence UK Drill n’occupe pas l’entièreté des pistes, elle prend tout de même une place importante dans le projet. Ce mouvement, porté par la scène Londonienne dans un premier temps, semble en effet avoir été façonné pour la plume du membre du 667. Pour écouter ce projet, inutile de sortir sa machette comme le feraient les pratiquants de la Drill les plus radicaux. Si Norsacce se maintient dans une violence raisonnée, munissez-vous tout de même de votre doudoune The North Face la plus chaleureuse (ou Quechua pour les budgets les plus serrés) et de votre cagoule la plus obstruante avant de lancer la première piste, car ce qui suit risque de glacer quelques ossatures.

Pour ce qui est du casting, les featurings avec Osirus Jack et Freeze Corleone nous rappellent que si l’écurie 667 nous a offert quelques-uns des meilleurs lyricistes de ces dernières années, sa plus grande qualité réside dans l’alchimie et la complémentarité de ses membres. On compte parmi les autres featurings quelques collaborations assez évidentes comme ASHE 22, membre éminent du collectif lyonnais Lyonzon, ou encore Double Cup Kase, rappeur Londonien avec qui il avait déjà collaboré en 2020 sur le morceau Karma. Les seules surprises résident dans ses featurings avec le très demandé Captaine Roshi et l’ex-Sniper Aketo. Malgré des univers très marqués, les deux rappeurs parviennent à faire honneur au projet en construisant des morceaux cohérents à son ensemble. Il semble enfin évident de saluer le travail des beatmakers ayant participé à la construction de ce projet, à savoir TN, Elouan Raptors, 2K, Flem et surtout Congo Bill qui est derrière la majorité des compositions du projet. 

“J’ai braqué la peur et j’ai tué le doute.” Intro Marathon

Cette phrase emblématique de l’esprit des 14 morceaux qui composent la mixtape en est son point d’entrée. En effet, si les aficionados de la secte ne vont pas s’étonner de retrouver des thématiques et un style d’écriture qui caractérisent Norsacce depuis le début de sa carrière, l’évolution semble davantage venir de sa mentalité. Alors qu’il aurait pu s’orienter dans une direction artistique plus “ouverte”, à l’instar de son excellent morceau Dans la tête sortie à l’été 2019, Norsacce revient  à un style qui lui semble bien plus personnel, entre UK Drill et Trap hantée. En renonçant à une certaine diversification, l’artiste devient le maître de sa propre discipline, le rap. Car oui, sur Marathon, Norsacce Berlusconi montre qu’il sait rapper. Il étouffe ses prods de flows qui ne laissent aucune place au répit en occupant chaque espace du terrain que lui offrent les compositions de ses beatmakers.

 

 

 

D’aucun diront que les 14 pistes proposées par l’artiste du 667 paraissent redondantes par la proximité qui subsiste entre les placements, thèmes et beats utilisés. Dans une ère où le renouvellement artistique et la conformité aux succès commerciaux sont devenus déterminants dans la réussite d’une carrière, la volonté de garder une certaine esthétique musicale tout au long de la sienne est un pari courageux et intéressant de la part de Norsacce. A l’instar de son co-ekipier Freeze Corleone qui publiait son album LMF quelques mois auparavant, il fait le choix de rester fidèle à ses thèmes de prédilection, ses croyances, ses valeurs et à sa couleur musicale (noire, de toute évidence). Alors que certains envisagent leur carrière comme un 110 mètres haies, ou la ligne d’arrivée serait le succès populaire et chaque haie représenterait un compromis artistique ou contractuel, Norsacce décide de son côté de balayer les compromis, rendant ainsi sa course plus lente et laborieuse. Comme un Marathon.

“Vrai succès, c’est l’estime”   Pirates feat. Aketo

Les obstacles franchis petit à petit le long de cette course ont amené à faire évoluer l’homme qu’est devenu Norsacce Berlusconi, plus mature dans ses positions. Lorsque, dans le morceau Lucky Strike, il répète à plusieurs reprises qu’il n’y a “pas de codé dans l’sprite”, on a du mal à s’imaginer que c’est le même artiste qui scandait en 2016 dans le titre Pharmacie: “J’passe à la pharma pour le Euphon”. Norsacce fait d’ailleurs référence à cette époque, dans un tout autre contexte, lorsqu’il rap que “Dakar se rappellent tous de l’époque de BDM” (Gucci 2 Fois). BDM, morceau publié en 2016 par le rappeur, est introduit d’un “Norsacce, j’suis de DK plus d’Paris”. 

 

 

 

Ces deux dernières citations nous emmènent sur une autre thématique cher à l’artiste, à savoir ses racines. Ayant vécu quelque temps à Dakar, le rappeur est  très attaché à son pays d’origine même s’ il a “grandi dans l’95, plus proche de la street que de mes 9 zincs” comme il l’explique dans son excellent featuring avec Aketo. C’est dans cette même logique qu’il prend à contre-pied les partisans de la Drill FR en nommant un de ses morceaux Drill Kainf Vol.1. Tout cela est une fois de plus intimement lié au tableau complet que Norsacce peint avec Marathon, justifiant ainsi sa volonté de balayer les compromis. A quoi bon chercher à être reconnu dans toute la France s’il peut être un héros chez lui, à Dakar?

 

 

Bien plus reconnu qu’hier mais toujours moins que beaucoup de rappeurs de son entourage, le marathon ne semble pas terminé pour l’artiste. Si son choix de rester fidèle à une direction artistique prononcée et pointue peut en effrayer certains, il est évident qu’elle va lui amener une fanbase solide et fidèle, à l’image de celle développée avec le 667 depuis quelques années. Espérons pour lui que son talent soit à l’avenir davantage reconnu par le grand public, mais surtout, ne cessons jamais de nous poser cette question : la France mérite-t-elle Norsacce Berlusconi? 

 

 

La meilleure façon de répondre à cette question, c’est évidemment de streamer et de partager le projet Marathon. 

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