QUAND LES RAPPEURS PRENNENT DES VACANCES
« POUR CEUX QUI PARTENT ET CEUX QUI PARTENT PAS »
Marronier journalistique, presque autant que le chassé-croisé, les francs maçons ou le salaire des fonctionnaires (big up aux confrères du Point), les vacances, notamment les grandes vacances, rythment l’année des Français – du moins jusqu’à ce que la startup nation et l’esprit d’entreprise nous poussent à bosser 7 jours sur 7. Les vacances sont un thème récurrent dans le rap français. Suffisamment large, elles donnent prétexte aux lyricistes, que ce soit pour évoquer une situation sociale donnée, pour parler d’ailleurs, ou tout simplement pour nous proposer des storytelling bien barrés. Petite sélection loin d’être exhaustive, à lire dans votre hamac en vous dorant la pilule au soleil, ou à votre bureau pour ceux qui bronzent à la lueur bleuté de l’ordi, qu’ils soient au charbon ou en galère pour l’été. « Pour ceux qui partent et ceux qui partent pas ».
“VOYAGER C’EST CHER POUR VOIR LES SEYCHELLES FAUT QUE J’M’ENVOIS PAR LA POSTE”
En effet, partir en vacances n’est pas une chose donnée, et quand les moyens manquent il faut trouver d’autres solutions. C’est notamment le point de vue adopté par Fabe dans « Quand j’serai grand ». En 1998, les Bleus gagnent la Coupe du Monde, certes, mais en attendant, des milliers de gosses restent coincés dans leur quartier en été. Grâce à une instru lourde, traînante, ambiance notamment donnée par ce sample de basse en début de mesure, Fabe nous raconte cet été au tieks, en illustrant particulièrement bien la chaleur et l’ennui de ces longues journées d’été où rien ne se passe.
Mais sous cette description d’un été, banal pour certain, méconnu pour d’autres, figure une critique acerbe des inégalités sous-jacentes de la société française. En effet les vacances servent d’illustration à ces inégalités, ramenées à son plus simple énoncé, ceux qui peuvent partir et ceux qui ne peuvent pas. Cette inégalité est localisée spatialement, dans les quartiers des grands ensemble, métonymes de la pauvreté. Le début du 2ème couplet est d’ailleurs éloquent :
“J’ai pas changé d’numéro de département seulement d’appartement
Grandi dans des quartiers, appartenant à la majorité qu’une minorité possède
Ca m’obsède comme les photos qu’ils montrent au club med
T’as vu le prix qu’ça coûte un billet d’avion ? »
(Quand j’serai grand)
Le thème de l’absence de vacances est également abordé par Al et Casey dans le titre L’hiver est longparu sur l’album de l’Asocial Club. En effet, pour des histoire d’argent, les deux compères ne pourront pas rentrer dans leur famille, et sont condamnés à « [se] réchauffer auprès du feu des trois dragons de Game of Thrones », dans un quotidien gris et froid.
Le retour aux origines, entre ressourcement et tensions identitaires : ce morceau sert également à expliquer la tension qui peut exister chez les deux compères, tiraillés entre la métropole et leurs lieux de naissances, ou d’origine. Ainsi, durant son couplet, les références aux Antilles et à l’Afrique de l’Ouest sont nombreuses, ramenant sans cesse à l’impossibilité du départ :
« Un appel du pays et vient la putain d’nostalgie
Chiquetaille de morue et mon ventre est nourri
Mets dans mon colis deux ignames et un gros cubi
De Neisson, Trois-Rivières ou bien la Mauny
N’oublie pas le citron, l’sucre et le sirop batterie »
(L’hiver est long)
Pour autant, pour certains des rappeurs évoqués, le temps des vacances est justement le temps de ce retour au bled, pour retrouver une partie de la famille. Au cours de ces voyages apparaissent les racines multiples de ces vies d’exil et de migration. Le sujet peut-être traité de manière humoristique, à la manière d’un Rim’k qui campe l’histoire d’un jeune banlieusard qui refuse de quitter son quartier durant l’été mais qui, bien obligé par ses parents, se retrouve durant deux mois au bled, en Algérie. Il y dépeint une vie joyeuse, une ambiance bonne enfant, le clip accentuant cette image. Ici, le voyage en terre natale est perçu comme un retour au source qui permet à l’individu de retrouver sa famille, profiter du soleil et du Selecto imitation coca.
C’est une toute autre histoire que celle contée par Ekoué, dans son titre Blessé dans mon égo. Celui qui considère sa musique comme du « rap de fils d’immigré » met en scène ses tensions identitaires à travers l’étape du retour au pays qui peut avoir lieu pendant les vacances. Le cul entre deux chaises, « Un statut de paria ici, d’intrus en cance-va au bled », ce voyage fait comprendre à Ekoué que s’il n’est pas le bienvenu en France, il ne l’est pas non plus au Togo. Entre la pression familiale quant à la réussite de ses études et les moqueries de ses cousins qui lui font comprendre qu’avec ses sapes il pourrait autant aller dans un hôtel à touriste, le rappeur de la Rumeur narre les décalages naissants durant cette période.
Les vacances, un lieu d’invention des possibles : certes, les rappeurs se sont souvent emparé du thème des vacances pour évoquer des problèmes sociaux ou culturels. Pour autant c’est aussi pendant les vacances que certains claquent le fric péniblement accumulé les onze autres mois de l’année. La description des vacances donnent alors voix à des lieux irréels, paradisiaques et des histoires démentes. C’est le cas dans Temps mort de MC Solaar. Sur une instru jazzy de son compère d’alors, Jimmy Jay, Solaar nous raconte ses vacances à la plage. Comme chez Fabe le lieu est extrêmement important. Mc Solaar ferait parti de « ceux qui partent » dans le morceau de Befa. Ainsi, là où la banlieue assigne l’individu à une place sociale, une fois échappé de celle-ci les cartes sont rebattus et le réel se recompose.
« Nous étions loin mais loin des problèmes de banlieue,
Étions des anonymes dans cet autre milieu
Jimmy semblait aux platines dans sa grosse bouée
C’est contre une glace que mon micro avait été troqué »
(Temps mort)
Enfin on ne pouvait pas de faire synthèse sur le rap et les vacances sans évoquer La Playa de la Clinique.Le titre te transporte tellement dans l’ambiance estivale qu’une envie de se mettre en maillot saisit immédiatement, même parmi les aisselles moites du métro parisien. Le morceau commence par des bruits de vague, histoire de mettre direct dans le bain. Durant les trois minutes, les trois potes de Porte de la Chapelle nous racontent leurs vacances idéales. Entre le sauvetage façon Alerte à Malibu, la soirée au casino où la fine équipe remporte les ronds pour pouvoir le dépenser en orgie et la soirée karaoké où même les gendarmes se mettent à picoler, le temps d’un été, cette plage devient une utopie à peu de frais.
On pourrait s’attarder sur d’autres morceaux, ou même des clips éloquent (le tryptique piscine, plage, femmes aux formes généreuses est un peu le stéréotype du rap français en cette période estivale). Mais j’espère que vous pardonnerez l’auteur de cet article, bien plus occupé à profiter de ses vacances…